[Tribune] Quelle ambition politique pour le tourisme durable ?
Le tourisme durable est actuellement impacté par un cadre politique en plein mouvement. Une nouvelle Ministre déléguée chargée de l'Économie du tourisme - Madame Marina Ferrari - a récemment été nommée, le projet de loi de finances pour 2025 a été dévoilé par le gouvernement, et le Premier Ministre a annoncé son projet de regrouper Business France et Atout France.Dans ce contexte, quelle place et quelle ambition pour le tourisme durable ?Au lendemain des Universités du Tourisme Durable, au cours desquelles il a été question de nouveaux récits, de nouveaux modèles et de prospective, l’association Acteurs du Tourisme Durable (ATD) souhaite réaffirmer les priorités qui lui semblent essentielles.
Si nous nous réjouissons de la nomination d’une Ministre dont le portefeuille est entièrement dédié au tourisme, nous nous interrogeons sur l’intitulé de son ministère et sur le signal que cela envoie.
“Ministre chargée de l’économie du tourisme” : ce prisme économique exclurait-il les autres dimensions – sociale, éducative, structurante pour les territoires – du tourisme ? ou encore la prise en compte de ses impacts sur le climat, la biodiversité ? Cet intitulé semble en tous cas revenir à une vision dépassée et réductrice du tourisme, focalisée sur le volume de dépenses des visiteurs.
Or, cela constituerait un manque total de cohérence et de responsabilité au regard des enjeux environnementaux et sociétaux actuels. Ceux-ci appellent en effet à ce que ce ministère s’attèle à des dimensions qui vont au-delà de la seule considération économique.
En premier lieu, la transition écologique du secteur. L’impact du tourisme sur le changement climatique, notamment, est grand, ainsi que sa vulnérabilité à celui-ci. Notre secteur doit de toute urgence se décarboner et s’adapter. L’ADEME rappelle dans son dernier Bilan des émissions de gaz à effet de serre du tourisme en France, que le secteur a pour objectif de réduire ses émissions de 40 à 50% d’ici 2030 par rapport à 2018 : quelle feuille de route est construite et avec quels moyens pour atteindre cet objectif ?
Ce même rapport pointe parmi les leviers majeurs le fait d’adopter des mesures publiques transformatives, notamment pour favoriser dans la durée un tourisme plus local : nous appelons de nos vœux la mise en place de mesures publiques courageuses, complémentaires des actions engagées par les entreprises et les destinations.
Autre priorité, l’accès aux vacances pour tous. Aujourd’hui encore, 40% des Français ne partent pas en vacances – à titre de comparaison ce taux n’est que de 20% en Allemagne.
Il est donc urgent, plutôt que de chercher à attirer des clientèles lointaines au lourd bilan carbone, de favoriser l’accès aux vacances au plus grand nombre et de redonner un sens positif et désirable au tourisme populaire… sans le décrier avec des discours omniprésents sur le surtourisme.
L’aménagement des territoires et une meilleure répartition des flux dans l’espace et dans le temps font également partie des enjeux majeurs, tout comme la juste répartition des retombées économiques du tourisme et l’attractivité des métiers.
Sur tous ces enjeux, l’action des professionnels du tourisme est indispensable pour accélérer la transformation de l’offre touristique. Elle est accompagnée et encouragée au quotidien par notre réseau des Acteurs du Tourisme Durable.
Mais cet engagement du monde économique ne sera pas suffisant sans une action de l’Etat et des pouvoirs publics, et la mise à disposition d’outils et aides pour les professionnels.
En ce sens, le rôle joué par Atout France est aujourd’hui indispensable. A nouveau, nous pointons un manque de cohérence entre la volonté de faire de la France la 1ère destination de tourisme durable d’ici à 2030, issue du Plan Destination France de 2021, et l’assèchement des moyens pour y parvenir si Atout France venait à perdre une partie de ses missions et ressources.
Ces dernières années, de très nombreuses missions confiées à Atout France sur le tourisme durable ont concrètement permis d’outiller les professionnels : les Appels à Manifestation d’Intérêt – notamment le dernier sur la gestion de l’eau – permettant de financer des projets, le lancement de la plateforme France Tourisme Durable, co-construite avec ATD, venant faciliter la transition des professionnels en leur apportant des ressources et outils, ou encore le travail sur le Tableau de bord du tourisme durable permettant une nouvelle façon d’observer.
Ce rôle majeur d’Atout France sur l’observation et ce travail sur de nouveaux indicateurs intégrant les enjeux du développement durable, sont indispensables. Il est en effet crucial de disposer d’une observation de qualité et de sortir des logiques de classement sur des bases uniquement économiques.
A la suite des récentes annonces, nous exprimons ainsi notre inquiétude sur ce qu’il va advenir de toutes les actions en faveur du tourisme durable, lancées dans le cadre du Plan Destination France à la sortie de la crise Covid, alors que nous appelions tous de nos vœux l’émergence d’un “monde d’après”. Nous pouvons aussi citer la fin du Fonds tourisme durable, opéré par l’ADEME et qui a permis de financer de nombreux projets. Cette ambition pour le tourisme durable aura-t-elle été plus éphémère qu’espéré ?
De façon globale, nous nous interrogeons sur la place donnée à la transition écologique et sociale par les politiques publiques actuelles, au regard des enjeux. Certes, nous nous réjouissons de l’annonce d’une augmentation de la taxation de l’aérien. Mais ce signal positif doit impérativement s’accompagner d’investissements massifs dans le ferroviaire, indispensables à la décarbonation de notre secteur … ce qui ne semble pas être à l’ordre du jour.
Pour continuer à avancer sur le chemin de la transition du tourisme, la coopération de tous est indispensable : Etat, collectivités, entreprises des différentes filières. C’est avec tous ces acteurs que notre association travaille au quotidien, et nous espérons que leurs prochaines actions et décisions iront dans le sens de cette transition.